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Mon existence à Paris
3 juillet 2023

La photo

Je me penche vers lui. J’y suis. La photo retranscrit exactement ce que je vois. Mon dieu que je suis fatiguée. Et défoncée. J’ai envie de vivre. De m’échapper du monde et de mon paroxysme.

Nicolas me scrute avec son regard lointain – me voit-il ? J’ai envie de lui. Nous nous enfonçons dans les couvertures, et nous endormons d’un trait.

Mon corps me fait mal. Je me réveille soudainement, avec un spasme douloureux. Nicolas n’est plus là. Je me dirige vers le salon. Qu’a-t-on fait hier soir ? Je n’ai aucun souvenir de notre activité nocturne. Je me pose sur le canapé, pour regarder passivement mon écran de télévision. Soudain, j’aperçois mon appareil photo près du tapis. Il m’éclairera sur la nuit passée. Mon bras lourd attrape l’appareil, et je me jette sur les photos comme la peste sur le bas clergé. J’appuie sur le bouton… Plus de batterie ! Il faut toujours que ces choses-là m’arrivent à moi. L’appareil me paraît étrangement léger. Suspectant quelque chose, je l’ouvre. La mémoire a disparu ! Il faut à tout prix que je le récupère. Qui sait quelles photos y sont enregistrées ?

Cherchant désespérément la force de me lever, je fais l’historique dans ma tête de ma soirée. J’avais rencontré une personne très sympathique – un garçon – dans un bar. Ah oui, et je suis allée au restaurant Jules Verne juste avant, avec un ami souhaitant son augmentation.

Mais quel était ce bar ? Et avais-je été droguée ? Mon portable sonne.

« Oui allo ?

- C’est ta mère, tu ne me réponds pas depuis hier après-midi ! Pourquoi me fais-tu des sueurs froides comme ça ?

- Désolée Maman, pardonne-moi d’avoir une vie bien remplie. Cela n’empêche pas que je pense à toi.

- Ce n’est pas grave ma chérie. Je suis contente que tu ailles bien. Comment été ta soirée hier au Jules Verne ? Toute la famille t’a enviée.

- Maman, tu n’étais pas obligée d’en parler à tout le monde ! Je suis sûre que les voisins sont au courant.

- Alors raconte !

- C’était très cosy. Et nos plats étaient délicieux. »

 

Je tentais de me rappeler ce que j’avais mangé. Impossible. Je magouillai quelque chose à Maman, et raccrochai.

Où en étais-je ? Ah oui, Nicolas. Il doit être loin maintenant. Je ne sais même pas où il habite ! Il faut que je me renseigne auprès de Vincent. J’ai mangé avec lui au restaurant juste avant l’incident, il doit savoir quelque chose. Je l’appelle.

« Vincent à l’appareil.

- Oui Vincent ? C’est Jeanne, je suis en train de me rappeler la soirée d’hier, mais j’ai seulement quelques bribes de l’histoire. Sais-tu dans quel bar on est allé après le Jules Verne ?

- Jeanne ! Je me demandais où tu étais passée. Après le bar je t’ai perdue et tu ne répondais à aucun de mes messages !

Eh bien, on est allés à La Comète, notre bar préféré, et des amis nous ont rejoints. Notamment Yves.

- Et il n’y avait aucun Nicolas ?

- Non, tu me caches quelque chose… C’était ma tournée hier soir, donc je n’ai pas fait attention à tout le monde. Beaucoup de gens nous ont rejoints. Il est possible qu’ils ne fassent pas parti de notre cercle d’amis. »

Il fit une pause.

 

« Jeanne, essaye de te rappeler ! Tu as dû passer par la Frange juste après. Et ensuite plus de nouvelles. »

Nouvelle pause. Effectivement, je me souviens de paillettes et de gros son. Mais après, si Vincent dit vrai, où suis-je allée ? Peut-être que je suis rentrée chez moi. Avec ce Nicolas. Ou alors est-ce un rêve ?

Ma mémoire faiblit. Qui peut donc savoir ce qu’il s’est passé ? A part ce foutu appareil photo, personne ne peut m’éclairer. Je m’endors sur le canapé, apaisée mais sceptique.

Trois semaines plus tard, j’avais récupéré du mystérieux évènement passé. Je n’y pense plus, à part lorsque mes pulsions photographiques me prennent. Je me rendais à ce moment-là chez Yves, pour une petite après-midi entre potes. Il était temps ! J’avais à nouveau envie de sortir, de respirer. Après toutes les heures de travail enchaînées au travail, mon corps agonisait. C’était le rush au Grand Tornton, notre cabinet d’audit. Les clients venaient par dizaines, et la nouvelle politique de recrutement n’a pas comblé le manque de consultants.

Yves m’avait donné rendez-vous au Sherry Butt, un bar à cocktail qu’il voulait tester depuis bien longtemps. Après une entrée laborieuse –celle-ci étant cachée et facilement confondue avec une entrée d’appartement - je parviens à l’intérieur du bar.

Je hume un air brumeux et parfumé. Pourquoi Yves ne voulait-il pas que l’on se retrouve dans un endroit plus cosy ?

Après des retrouvailles joyeuses et pleines de rebondissements, je me lance dans mon enquête.

« Yves, je ne comptais pas t’en parler ce soir, mais te souviens-tu de notre soirée avec Vincent ?

- Bien sûr ! C’était de la frappe. Une soirée dont on se souviendra.

- Eh bien justement. Je ne m’en souviens pas. Ou du moins pas de tout. »

Je marquais un silence.

« Après notre passage à La Comète, on est allés où ? Tu te souviens ?

- On s’est séparés. Je suis rentrée avec Mathilde, et je vous ai laissés. Je crois que tu n’étais pas dans ton état normal. Tu avais l’air…euphorique. Comme si tu n’étais pas sortie depuis trois mois. »

Je déglutis. Bon, j’avais réussi à obtenir des informations supplémentaires. Prise dans mon élan, je lui contais l’histoire des photos.

« Franchement, je te conseille de continuer à chercher. Je flipperais à ta place. Quelqu’un a des informations sur toi – et des photos en plus – et impossible pour toi de t’en rappeler ni de trouver la personne avec qui tu étais. Ce Nicolas, comment était-il ?

- Grand, pâle et châtain. C’est tout ce dont je me rappelle.

- D’accord. Hum, Mathilde en saura peut-être plus que moi. Je vais le lui demander. Mais il y avait pas mal de mecs grands et bruns dans le bar. Et dans la boîte, impossible de se souvenir de qui était présent. Encore moins de les voir. »

Le stress envahit mes pensées. Je n’y avais pas songé, comme il y a trois semaines la fatigue m’avait submergée à un point… Que vais-je faire ? Si les photos sont publiées sur Internet, si quelqu’un me fait du chantage, si une vidéo a été prise ?

Je suis coincée. Personne de ma connaissance n’est susceptible de connaitre tant soit peu de choses sur le soir fatal. Et qui était ce Nicolas ? Son visage disparaît progressivement de ma tête. Je ne sais plus où j’en suis. Je ne parviendrai plus jamais à dormir ! Il fallait que je trouve une solution.

Pâle et tremblante, je rentrai chez moi. Yves m’avait ouvert les yeux, mais pas éclairé le chemin. Je me sens encore plus seule. Puis-je faire confiance à mes amis ? Ces personnes m’ont laissée dans la nuit avec des inconnus, sans vérifier que j’étais en état d’agir.

 

Une fois rentrée, je tapais le nom Nicolas sur Facebook, juste pour être sûre de ne rien regretter. Aucun résultat. Il fallait m’y attendre. Dépitée, je me mis à pleurer. Et demain, il faudra que j’aille au boulot comme si rien ne s’était passé. Comme si un trou noir dans ma vie ne signifiait rien. Alors que je voulais m’en rappeler. Quoi qu’il m’en coûte. Sinon, cela me retombera dessus d’une manière ou d’une autre.

Je m’endormis dans un sommeil sans rêves, et me réveillai toujours aussi atone.

 

7h20. Le réveil sonne dans mes oreilles. J’ai mal à la tête, je peine à lever mon bras pour l’éteindre. Je mange, prends mon café, me brosse les dents en écoutant la radio. Je me dirigeai péniblement vers Saint-Lazare en métro. Sur le chemin, je reçois un sms : « J’ai les photos ». Mon esprit ne fit qu’un bond. Je défaillis parmi les voyageurs.

Que faire ? Lui répondre ? Je suis sûre que l’individu n’attend que cela. Mais si je ne fais rien, je suis coincée. Je n’ai aucune envie de subir du chantage.

J’arrive au travail. Impossible de me concentrer. Le manager s’est déplacé en plus, quelle chance. Je n’ai dans la tête que le message. Je vais lui répondre. Dans tous les cas, l’inconnu a déjà mon numéro. Mon manager me fixe. Je crois que je suis censée envoyer un mail quelqu’un au sujet d’un nouvel outil d’audit. Je n’ai pas du tout la tête à ça. Je regarde mon portable. Toujours rien. Il vaut peut-être mieux que je réponde. Sinon je vais rester bloquée dessus toute la journée, voire toute la semaine.

Je prends mon téléphone, et écris « Qui êtes-vous ? ».

Ce sont les heures les plus longues de ma vie. Déjà que le travail ne passe pas très vite, je suis au bout. Franck, un collègue, me fait un sourire narquois. Il doit penser que la tâche à faire me stresse. Or je ne sais fichtrement rien de ce que je dois faire. Mon portable s’allume. « Rendez-vous ce soir. Tu cliqueras sur ce lien. », suivi d’un lien URL Je ne sais pas quoi faire. Cliquer sur un lien inconnu est typique du vol de données informatiques ! J’ai peur. Si ça se trouve, mes photos sont d’ores et déjà sur internet. Si seulement je pouvais en parler à mes parents. Mais ils ne me comprendraient pas. Tout ce qu’ils retiendraient, c’est le fait que je me sois dépravée le soir fatidique.

Photo

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